La leçon de vie d'Antonin Lauzière
Si on dit que tous les chemins mènent à Rome, on peut aussi dire que tous les chemins peuvent mener au sport d'endurance ! Les raisons qui poussent un individu vers des activités dites extrêmes, comme la course ultra ou le triathlon longue distance, varient énormément d'une personne à l'autre. Je partagerai donc ici mon expérience personnelle et ma vision du dépassement de soi par le tremplin exceptionnel qu'est l'activité physique.
Enfant, j'ai été introduit à plusieurs sports tels que la natation, le karaté kyokushinkai, la planche à neige et la randonnée en montagne. Autant que j'appréciais ces activités, je n'étais pas alors conscient du rôle vital qu'elles jouaient dans mon équilibre physique et mental.
À l'adolescence, j'ai plutôt bifurqué vers les arts et l'entrepreunariat en fondant un groupe de musique qui connu un certain succès financier, entre autres, grâce aux spectacles produits dans ma ville natale de Drummondville. Le sport prit la porte d'en arrière au profit d'un mode de vie où la consommation de drogues et d'alcool était souvent excessive. Le groupe dura un certain temps avant d'être dissous pour des raisons qui échappaient à mon contrôle.
S'ensuivit une lente descente vers la dépression... Le déni et la résistance au changement m'ont laissé dans un état de paralysie. Je n'arrivais plus à rêver ou à vouloir quoi que ce soit d'autre de la vie, mon idée fixe tombait à l'eau, tout comme moi. Sentant le danger de noyade, l'instinct de survie prit le dessus. Sans trop comprendre la portée de mon geste, j'ai sorti ma carte de crédit et me suis inscrit à l'Ironman Mont-Tremblant 2018 !
En surpoids de 50 livres et fumeur, je me suis dit que je n'avais rien à perdre, que j'allais tenter le plus long triathlon connu sans expérience, sans coach et sans savoir si j'étais réellement capable de le terminer. Par pure curiosité du possible, je me suis mis au défi de surmonter cet Everest aux yeux de tous, par l'entremise de la cause de l'aide alimentaire. Le journal local de Drummondville annonçait ma présence au départ de l'événement alors que je n'avais encore jamais complété un marathon de ma vie ! Des dons furent amassés, la pression était au maximum.
Pour la première fois, je goûtais au fruit de la discipline et aux bienfaits de l'entraînement de volume. Ce fut une véritable révélation. J'ai réalisé que l'esprit et le corps étaient indissociables. La tolérance à la douleur peut s'apprendre et se développer. En renforçant le corps, nous renforçons nécessairement l'esprit nous rendant plus apte à affronter les aléas du monde et de la vie de tous les jours.
Toutefois, c'est avec beaucoup d'appréhension et une nuit blanche dans le corps que je prenais la ligne de départ pour ce triathlon de 3800 mètres de nage en eau libre, suivi d'un 180 km à vélo et de ce premier marathon qui me faisait si peur. Malgré la chaleur oppressante, j'ai réussi à voir le fil d'arrivée en 12 h 33 min. Le soir même, je savais que ça ne s'arrêterait pas là... J'en voulais déjà plus, j'allais répéter l'expérience du Ironman en 2019 mais ce qui ne me sortait pas de la tête, c'était la course en trail, plus particulièrement l'ultra trail. Je sentais que je venais de franchir une barrière infranchissable en courant mon premier 42 km et je voulais maintenant découvrir ce qui se trouvait derrière.
N'y allant pas de main morte, une première tentative en 2019 sur le 160 km de l'ultra trail Gaspesia 100 à Percé se conclut par un abandon au km 80. Des pluies diluviennes les jours précédents avaient transformé les sentiers en océans de boue et ma naïveté face à l'ampleur de la distance ont eu raison de mes genoux. Je savais que ma saison était à risque si je continuais étant donné l'augmentation drastique du nombre de km que je faisais vivre à mon corps. J'ai donc décidé de me retirer mais la fierté était tout de même au rendez-vous ! J'avais d'autres objectifs devant moi comme le 125 km de l'ultra trail Harricana 2019 complété, un couteau entre les dents, en mode survivant.
Encore une fois, je me suis demandé ce qu'il y avait au-delà des événements sporadiques d'ultra endurance. J'ai entendu parler pour la première fois des courses sur plusieurs jours par le livre North de Scott Jurek sur la traversée de l'Appalachian trail. Il a réussi à parcourir autour de 80 km par jour en montagne et ce, pendant plus d'un mois ! Avec l'annulation des courses en 2020, j'ai donc décidé de me lancer sur ma première expédition.
J'ai choisi de parcourir le ''petit tour de l'est'' qui consiste en une boucle de 625 km partant de la ville de Sainte-Anne des Monts en Gaspésie. Suivi par une équipe de soutien et de production vidéo à bord d'un autobus converti, nous sommes partis en direction de Percé par la 132. Mère nature nous a bien choyé avec le 18 mai le plus chaud en 50 ans ! Des températures hors normes ont suivi toute la semaine ne me laissant pas d'autres choix que de courir la majeure partie du temps la nuit ! Nous sommes finalement sorti du parc de la Gaspésie par la route 299 pour revenir au point de départ en 8 jours et 12h. Modifications de souliers faites au canif, pieds enflés, ampoules, coups de soleil, blessures, saignements de nez et hallucinations auront été au rendez-vous! J'ai pourtant été surpris par la puissante capacité d'adaptation du corps. Malgré un départ fort aux conséquences désastreuses, j'ai réussi à guérir certaines blessures en mouvement et à m'accrocher grâce au support exceptionnel de mon équipe.
Le 4 février 2021, l'adversité est venue frapper à ma porte d'une façon bien inattendue. En aidant un ami à déneiger le toit d'un bâtiment, j'ai fait une chute et me suis fracturé la malléole droite en plus de me déchirer certains ligaments à la cheville... Arrivé à l'hôpital, le regard du médecin en disait long lorsqu'elle est venue me donner son compte rendu. J'allais passer sur la table d'opération, le chirurgien allait poser une plaque, six vices d'un côté et opérer le ligament de l'autre. Ma cheville ne serait plus jamais la même. J'étais dévasté... C'était mon mode de vie qui partait en fumée. J'ai dû mettre en application les apprentissages que le sport d'endurance m'avait apporté. Pour mettre un terme à la panique qui s'emparait de moi, j'ai pris la décision de voir ce qui m'arrivait comme un nouveau défi. Peut-être était-ce irrationnel de ma part mais je me suis dit que c'était un test.
J'avais maintenant l'opportunité de défier le possible à nouveau et de tester les limites du corps d'une autre façon. Une fois plâtré, je n'ai pas perdu de temps pour me remettre en mouvement. Des vis ont été ajoutées à mes embouts de béquille et j'ai pu enfiler les sorties de ''course'' hivernale à une jambe à l'aide de mon dos et mes bras. Je suis passé d'un début modeste de seulement quelques km par sortie à une soixantaine de km par semaine. Le plâtre fut finalement retiré et s'en suivit la période de réadaptation. Trois mois après l'accident, mon chirurgien confirmait la consolidation des deux opérations, en bon québécois ''c'était bien repogné ! '' C'était le feu vert pour la mise en charge plus dynamique. Plutôt que d'opter pour une réadaptation standard en salle de physio, j'ai décidé de faire travailler ma cheville en sentier, dans la nature. À l'aide de pôles, j'ai parcouru de courtes distances bien douloureuses mais ô combien payantes au niveau de la mobilité gagnée et de l'amélioration de la capacité d'impact.
En théorie, ce type de blessure prend de 6 à 12 mois de guérison avant de pouvoir effectuer un retour progressif à l'activité. Malgré mon état compromis, j'ai tout de même pris le départ du 113 km de l'ultra trail des Chic Chocs 2020 que plusieurs considèrent comme la course en sentier la plus technique au Québec. Après seulement cinq mois de guérison, je ne m'attendais à rien de plus que de m'en sortir en un morceau. Lors de cette course le terme semi autonomie prend tout son sens car il n'existe que 3 points d'extraction possible en voiture sur 56 km de sentier. Il n'y a pas d'hélicoptère et un sauvetage serait un défi logistique éprouvant. Il n'y avait donc pas de place à l'erreur. De peine et de misère, j'ai réussi à me rendre à mi-chemin du parcours. Au bout du trajet de l'aller, au km 56 sur presque 3000 de dénivelé vertical, j'ai été arrêté par les fermeurs de course m'empêchant ainsi d'entamer le retour... Je dois avouer que j'ai apprécié mon ''lift'' !
Suite à cette performance, j'ai commencé à croire que je pourrais apprendre à vivre avec ma condition et trouver le moyen de continuer mes projets, peu importe. J'ai consulté mon principal partenaire du tour de la Gaspésie 2020 et nous avons décidé de répéter l'expérience mais en hivers comme prévu, dans les dates décidées au départ, soit le 6 janvier 2022. Je m'efforce depuis à me préparer du mieux que je peux à ce nouvel Everest : 625 km de course hivernale sur route exposé à la mer et ce, seulement 11 mois après ma double chirurgie. Plus de 2 000 km ont déjà été parcourus en préparation de ce projet jusqu'à présent. Une équipe de tournage sera présente et un court métrage d'aventure sera réalisé. J'aimerais terminer en moins d'une semaine et être porté par de bons vents, mais si la tempête se lève, je lui sourirai avec joie.
Par ce témoignage, j'espère avoir éveillé votre curiosité en ce qui concerne votre possible. Osez vous surprendre !
Antonin Lauzière
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